Cicatridine

Ce matin-là, il fait grand beau. Le fond de l’air est frais, le soleil réveille le quartier qui s’était replié sur lui-même pendant les mois d’hiver. On est au printemps, enfin. Pourtant, je traverse la Place de Clichy avec une sensation étrange. Je suis fatiguée et je me sens vide. Ce qui est d’autant plus incompréhensible que la veille, j’ai passée la soirée avec Victor, dont j’ai parlé à toutes mes copines pendant plusieurs semaines. Il est cultivé, drôle et son corps est magnifique. Au fond de mon ventre, pourtant, la sensation désagréable d’être engourdie, insensible. Absente à moi-même. Au bord de mon ventre, mon sexe étourdie, meurtrie, abîmée par la nuit.

J’ai mal.

Une amère fierté

J’entre dans la pharmacie de garde comme un automate. Mes années à Paris n’ont pas été les meilleures amies de ma santé et ce n’est pas la première fois que je viens. Je me rappelle de cette pharmacienne qui, en me posant 3 boîtes de doliprane sur le comptoir, m’avait regardé soucieuse avant de me lancer : « dites, vous prenez pas tout en même temps hein ? ». On est dimanche, il y a du monde, et je me demande comment je vais pouvoir demander conseil sans m’afficher.

Je n’ai aucune honte à avoir une vie sexuelle, au contraire. J’en tire une sorte de fierté depuis que j’ai compris que c’était ce qui avait de la valeur dans les médias, à la cours de récré, au collège et au lycée. En revanche, je n’assume pas tout à fait les conséquences que ça a sur mon corps. J’aimerais qu’il me suive dans mes ébats, qu’il assure. Ce qui n’est souvent pas le cas.

Une vendeuse s’approche et je balbutie des irritations de la vulve, la muqueuse presque à vif, la brûlure de l’eau. J’esquisse un sourire pour la rassurer. C’était consenti, mais intense. Elle s’éloigne pour revenir avec une crème conditionnée en boîte rose pâle sur laquelle une silhouette de femme et le nom sont en violet : Cicatridine.

Crédit photo : Tina Maria Elena
Crédit photo : Tina Maria Elena

La potion magique

Je rentre chez moi avec la crème en poche, heureuse de cette solution inattendue. Sur le tube il est écrit :

Traitement adjuvant du processus de cicatrisation en cas de : […]

  • Lésions superficielles : gerçures, écorchures, abrasions, éruptions, brûlures de 1er et and degré, coupure superficielles
  • Lésions profondes : lésions chirurgicales, […].

Parfait. Avec hâte, je monte à l’étage et je me lave les mains pour appliquer la crème au plus vite. Je serre les dents : la désquamation de la muqueuse fragile de la vulve est très désagréable. Heureusement, cette couche généreuse apaise déjà la sensation de brûlure et je me rhabille, soulagée.

Le soir même, la cicatrisation a bien avancé et je me vois déjà libérée des futures irritations que causeront mes prochains amants. Je pourrai enfin profiter de mon corps pleinement sans en pâtir le lendemain. Je pourrai enfin être un bon coup, sans en payer le prix. Je me vois déjà appliquant la crème à peine le rapport terminé, pour me réveiller avec moins d’inconfort, et même la possibilité de baiser le lendemain matin sans faire semblant de ne pas avoir mal.

J’écris à mes potes pour leur partager cette trouvaille. « Hé les meufs, j’ai la solution pour la vulve en feu ! ».

Crédit photo : Tina Maria Elena
Crédit photo : Tina Maria Elena

Ma came

La vie continue, et j’ai toujours dans mon sac ce petit tube rose au cas-où. Une perle qui ne me quitte plus, que j’utilise quand j’ai abusé de mon corps, quand ma peau est à nue, mes entrailles à vif. J’applique ce remède, cette potion magique, comme je prendrais une drogue, pour diminuer la douleur, réduire les blessures, pour ne pas voir le problème.

La vie continue et je me rapproche de qui je suis. Je m’autorise un voyage, puis deux. Des cadres différents, des extases nouvelles. Et un jour, je fais l’amour avec une femme.

J’ai été entre ses cuisses, j’ai vu son désir et j’ai senti son cœur et son sexe palpiter. J’ai voulu la toucher, la goûter, l’aimer, mais j’ai surtout souhaité son bien et lui éviter tout l’inconfort et toute la douleur que j’avais vécus. Et brutalement, j’ai réalisé à quel point j’avais appliqué cette crème sur mon Ego de super amante, à quel point je cherchais à faire cicatriser cette blessure béante à l’intérieur de moi-même dans laquelle je laissais s’engouffrer mes amants inconscients.

Brutalement, j’ai vu mon sexe écorché, par ma volonté si forte de prouver que j’étais femme, que j’étais sexuelle, que je méritais d’être désirée, j’ai vu mon sexe déchiré par mon désir si puissant d’aimer et d’être aimée. J’ai pleuré sur le sexe de mon amante, sur nos sexes meurtris par des générations mal éduquées, par notre manque d’amour propre, notre peur de décevoir nos partenaires. J’ai pleuré sur ces rapports à moitié consentis, quand j’ai demandé aux hommes d’y aller plus fort alors que j’avais mal, quand j’ai dit oui alors que je pensais non. J’ai pleuré sur mon incapacité à me protéger de moi-même, sur l’inexpérience des hommes, et sur les messages insidieux véhiculés par nos médias.

Puis doucement, avec l’aide de partenaires éveillé(e)s, j’ai commencé la désintox.

Crédit photo : Tina Maria Elena
Crédit photo : Tina Maria Elena

Déprogrammer par l’éducation, éduquer par l’amour

J’ai commencé par dire stop, dire non, dire différemment. Et assumer pleinement cette décision. Ne pas culpabiliser de couper un élan (qui, de toute manière, blesse et est souvent déconnecté). Ne pas culpabiliser de ne pas pouvoir. Ne pas reprocher à mon sexe de ne pas être prête. Cesser de me dépêcher d’être prête pour accueillir l’autre. Accepter le rythme de mon corps, qui n’est pas le même que celui de ma tête. Guider sans avoir peur de vexer. Cesser de côtoyer ceux et celles qui prennent les choses personnellement, se sentent en danger quand le rapport ne se passe pas tel qu’ils l’avaient prévu (appris). Me rapprocher de ceux qui n’ont pas peur d’être vulnérables. Et puis en trouver un particulier, qui venait de se réveiller.

J’ai fini par en parler, beaucoup. Par rendre publics mes déboires, car je les savais partagés. J’ai réunis des femmes pour leur rappeler à quel point leur corps est sacré, et entièrement à elles. Et petit à petit, ma voie s’est ouverte. Ma voix aussi. Aujourd’hui, je parle pour vivre, je transmets pour connecter. Je souhaite plus que tout éduquer une nouvelle génération d’hommes et de femmes à s’aimer correctement, avec passion, avec patience. Pour des sexes protégés, vénérés, respectés. Dont on honore les rythmes et célèbre la beauté.

Crédit photo : Tina Maria Elena
Crédit photo : Tina Maria Elena

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