Dis-lui que son sourire est tout, que ses complexes ne sont rien, que ses cheveux fous te font craquer le matin.
Dis-lui qu’elle est belle.
Dis-lui qu’elle sent bon. Qu’elle fait bien. Qu’elle a raison.
Dis-lui que sa peau te plaît, que tu attends chaque soir le moment de la toucher.
Dis-lui que tu es troublé par son rire. Dis-lui qu’elle peut compter sur toi. Que tu es là. Que tu restes.
Dis-lui qu’elle est intelligente, drôle et inspirante.
Dis-lui que tu l’aimes. Que tu l’aimes comme elle est.
Fais-le.
Vis-le.
Dis-lui.

Trop tard.
Ses larmes ont trempé mon épaule. Entre deux sanglots, elle se mouche et contemple ahurie l’écran bleu de son portable.
« Pourquoi maintenant ? Pourquoi trop tard ? »
C’est à la fois de la tristesse et de la colère. Je connais Sophie depuis toujours, elle est une femme sauvage, flamboyante et inspirée. Elle a des ressources que je n’ai pas, vécu deux grossesses et aimé une poignée d’hommes pour qui elle aurait tout donné.
Cette rupture, c’est celle de sa vie. De ses vies. Sophie s’offre sans compter, sans juger, avec la profondeur de l’espoir. Elle cherche du sérieux, de l’engagé, en misant à chaque fois sur des amours qui, dès le début, ne lui rendent pas assez. Et quand, épuisée, essorée, elle choisit de partir pour ne pas se noyer, tous ont un sursaut et choisissent de se réinventer.
Le mail de Fabien semble crever l’écran. Il a écrit tout ce qu’elle voulait entendre. Il a laissé tomber les masques, quitté son slip de superman en carton, et est entré dans un véritable espace de vulnérabilité. Il l’aime. Il est maladroit, empoté, un peu con et désorganisé. Mais il l’aime, et est si fier d’elle, si admiratif. Intelligente, passionnée, dévouée. Il énumère ses qualités, il prend le temps de mettre les formes, de livrer son cœur entre les lignes et la touche, pour de vrai.
Je sais que c’est trop tard, qu’il a raté le coche. Qu’à force de minimum syndical et de déceptions à répétitions, Sophie n’est plus lassée, mais désengagée. Et je suis en colère, moi aussi. Terriblement frustrée de me sentir impuissante face à ces discussions régulières, partagées par les couples qui m’entourent, sur le manque de signaux d’intérêt, d’admiration et d’amour. L’insécurité affective règne, et il nous appartient d’y travailler, très bien. Mais le travail sur soi ne justifie pas la lâcheté émotionnelle ni des leçons morales.

Ces éclats d’âme gratuits
Autour de moi, elles sont nombreuses à attendre, à guetter, à espérer. Les petits mots doux, tout simples, que l’on se donnait sans compter au début. Ces éclats d’âme gratuits, qui sortaient du ventre, parce qu’être vulnérable ne faisait pas peur. Comme d’invincibles soldats de la bataille de la Passion, on se livrait à cœur ouvert sans appréhension. Et puis, parce que la vie, on se tait par paresse, par pudeur, par crainte de ne pas recevoir autant que l’on donne, d’être ridiculisé ou simplement dépouillé de notre dignité.
Certain(e)s ont même préféré renoncer et décident que cela n’a pas d’importance. Que c’est tacite. Sous-entendu. Mais n’est-ce pas une preuve que cela en a, de l’importance, quand la perte nous met face à ce vide manifeste, que la maladie, la mort, la séparation, nous confrontent à un réservoir émotionnel béant, une âme sèche et fragile ? Quand la vieillesse fait ressortir des besoins ignorés, ou qu’une rencontre bouleverse un quotidien a priori stable et équilibré ? La preuve que le silence, parfois, est une lâcheté qui coûte la paix aux âmes. Que la Femme du Fond, des tripes, celle qui s’engage pour Aimer, sera bien plus encline à l’Amour quand elle se saura en sécurité, vue, et connectée.

Alors dis-lui qu’elle est belle. Souvent. Dis-lui à quel point elle est merveilleuse, dis-lui sa brillance, son esprit, son humour. Ce n’est pas répéter. Chaque seconde est une éternité quand on aime, et il faut se dire, toujours, les mêmes choses, pour s’en souvenir jusqu’à la fin. Qu’est-ce que cela te coûte ?
Dis-lui qui elle est.
Le couple n’est plus seulement une construction sociale, un partenariat domestique. C’est un lieu d’évolution personnelle et spirituelle, de libération.
Nous ne subissons plus la cellule du couple hors de laquelle nous pouvions vivre l’amour et la sensualité à notre guise. Esther Perel explique que « aujourd’hui le couple doit fournir aux partenaires ce qu’un village entier autrefois fournissait. » On attend que son partenaire soit à la fois l’amant, l’amour, l’ami, le père, le frère… et on souffre de constater qu’il ne peut assumer tous ces rôles à 100 %.
Se choisir, c’est chaque jour. Et se choisir comme amants/amours, l’est aussi. La confiance, la fraternité, le soutien, sont une chose. L’amour, le désir, l’admiration, en sont d’autres. S’assurer de nourrir des rôles complémentaires avec les mots du quotidien, c’est aussi remplir les besoins fondamentaux du couple que l’on souhaite construire. Évaluer ensemble la nature de la relation, les mots qui manquent, ceux qui en sont pas entendus, ceux qui blessent, c’est rétablir l’harmonie, régulièrement, et se souvenir de la passion première qui vous a mené ensemble.
C’est maintenant, que vous êtes une équipe, que vous êtes vivants.
Dis-lui qu’elle est belle, avant qu’elle s’en aille. Avant le travail ou pour quelqu’un d’autre, pour la chimiothérapie ou pour une nouvelle vie.
Ces petits mots remplissent le cœur, et peuvent, à terme, assurer la force d’un engagement, panser une blessure profonde à l’âme, éclairer les liens qui vous unissent.
Dites-vous votre beauté, votre joie, votre admiration.
Parce que personne ne peut se lasser d’être la déesse d’un dieu, ni le dieu d’une déesse.
Parce l’amour sacré c’est réaliser le Divin, ici et maintenant, à chaque instant.
