Patin à glace

Ta langue dans ma bouche.

Ta voix qui s’éteint sous tes yeux qui vont se taire.
Ton cœur est dans tes mains, il bat, plus bas, m’enserre.

À la fin de l’envoi, c’est aussi moi qui touche.
Tes mots doux dans mon souffle, ta langue dans ma bouche.

Couple kissing
Géricault – The kiss

Le patin à glace

Je l’attendais avec une impatience maîtrisée. Ce moment où, dans une pénombre pudique, je pourrais te goûter. J’avais 13 ans, ou plus, ou moins, c’est trop loin, ça ne m’intéresse pas. J’étais vierge de la bouche, innocente de la langue, encore pucelle du patin.

Bien sûr, il y en avait eu, des smacks, des frémissements du cou, du lobe d’oreille, des rencontres inopinées entre cette partie charnue du visage et ma peau de bébé. Mais je ne voulais pas précipiter cet élan érotique et attendais avec excitation mon tout premier « vrai » baiser.

Seulement, il y a cette extrême sensibilité des débuts qui en effraie certains, ou l’ignorance, ou l’impatience, ou l’incompétence, bref, mille raisons pour lesquelles tout peut déraper. J’avais oublié l’alcool, véritable fléau des premières fois, triste antidote à tout un tas de névroses partagées par la majorité des adolescents (et adultes). Et quand j’ai eu l’élu dans mes bras, son haleine houblonnée aurait dû m’alerter. Pensez-vous… Une amoureuse de l’amour, dopée au fantasme de l’union cosmique avec un envoyé idéal, elle-même aveuglée par les projections de son mental inexpérimenté, patienter ?

Alors que j’approchais avec une infinie tendresse nos deux visages, je sentais monter en moi un feu d’une ardeur inconnue. La première frontière d’un pays tant espéré allait être franchie ! Les planètes cessaient de tourner dans le système solaire, orientant leurs satellites vers nos âmes prêtes à se rencontrer, le sang dans nos bouches tendues, proches, si proches… confondues ! Alleluia ! Mazeltov ! Nos destins se scellaient dans un univers éternel, il était l’heure d’écrire notre histoire, alors j’entr’ouvrai les lèvres.

Quelle ne fut pas ma déception quand l’élu usa de façon tout à fait surprenante de son organe buccal. J’étais sidérée, stupéfaite, je n’assistais pas à la manifestation d’une simple maladresse, mais à une véritable performance artistique, théâtrale, un débat d’idées, une équation aléatoire… Loin de m’inviter danser, sa langue jouait seule aux échecs amoureux. Je quitte notre baiser pour le regarder et avec douceur, je lui propose de me laisser faire. J’essaie d’initier autre chose, de plus lent, de plus ciblé, mais c’était peine perdue. Après m’avoir léché le visage, l’élu s’endormait. J’en avais de partout, j’étais déçue, et refroidie. Quel patin à glace.

The way you kiss is the way you make love.

J’ai exagéré, pour le spectacle, pour le plaisir d’écrire, pour insister. Parce que je suis résolue à faire évoluer la façon dont le monde s’aime, se touche et s’embrasse. Et à propos de baiser, j’ai des choses à vous dire.

Klimt - Le baiser
Klimt – Le baiser

Prenez votre temps. Déjà. Et soyez à l’écoute. C’est tout.

Réalisez aussi qu’une bouche sur une autre, c’est une porte ouverte sur une expérience mystique, profonde et intime, que l’on bâcle trop souvent pour tout un tas de raisons. Mais faire l’amour, c’est embrasser. Embrasser, c’est faire l’amour. Quand vous êtes impatient, distrait, préoccupé, fatigué, triste, ça se sent. C’est primitif, c’est au-delà de la technique pure de la bonne dose de langue au bon moment. C’est une histoire de connexion avec votre partenaire, une façon de le sentir avec le corps et non l’esprit.

Plutôt que parler, taisez-vous. Plutôt que penser, méditez-vous !

Laissez vos bouches se chercher, prenez le temps de les sentir, de les toucher, de les voir, de les lécher. Ne vous jetez pas dans le scénario qu’on vous a cousu sur la rétine, en abouchement passionné ponctué de gémissements hollywoodiens ! Si les films montraient de vrais baisers, ils dureraient 3 heures de plus. Prenez le temps de vous aimer la bouche comme des adultes, n’ayez pas peur d’entendre des mots doux de plus près, n’ayez pas peur d’en dire directement dans le cœur de votre aimé.

« Et d’un peu se goûter, au bord des lèvres, l’âme ! »

Il n’y a pas de baiser plus réussi que celui où le cœur est sur les lèvres. Où la langue est le prolongement des mains. Embrassez-vous sans vergogne, mais d’abord avec la lenteur de l’écume qui se retire du sable, la patience des saisons, l’attention que l’on porte à son âme pour se révéler authentique. Embrassez-vous en osant être vulnérable.

En pratique :

  • Demandez-vous comment vous aimez être embrassé.
  • Pour descendre jusqu’au cœur, un baiser, même sans langue, prend au moins 6 secondes (6 secondes avec le mental détendu et l’attention sur l’instant présent, sur la bouche de votre partenaire, le contact…) . Essayez !
  • Il y a plus de deux états 1-pas baiser 2-baiser-langue-dans-bouche : l’approche compte tout autant voire plus, elle prépare le mental, le corps, et fait doucement monter le désir dans la bouche. La résolution aussi, on ne se quitte pas brutalement comme si on pouvait rayer ça de sa to do. On se dit au-revoir du bout des lèvres, on se regarde, on se reconnaît, on se remercie avec les yeux, les mots, les mains…
  • Déconstruisez ce que DOIT être un baiser. Un fois que vous avez pris le temps de vous connecter et que vos lèvres et votre langue ont bien dansé, explorez ce que peut faire votre bouche. Carte blanche, ça veut dire, carte blanche. Certains aiment des choses que vous n’imaginez pas… ! Donnez-vous des idées, et ne vous prenez pas au sérieux. 🙂
Couple playing
I love you baby, baby I love you! – ©Nicolas Nova

Aimer, c’est savoir dire je t’aime sans parler.

Victor Hugo

Cyrano.

Ne vous en faites pas un épouvantement
N’avez-vous pas tantôt, presque insensiblement,
Quitté le badinage et glissé sans alarmes
Du sourire au soupir, et du soupir aux larmes !
Glissez encore un peu d’insensible façon :
Des larmes au baiser il n’y a qu’un frisson !

Roxane.

Taisez-vous !

Cyrano.

Un baiser, mais à tout prendre, qu’est-ce ?
Un serment fait d’un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,
Un point rose qu’on met sur l’i du verbe aimer ;
C’est un secret qui prend la bouche pour oreille,
Un instant d’infini qui fait un bruit d’abeille,
Une communion ayant un goût de fleur,
Une façon d’un peu se respirer le cœur,
Et d’un peu se goûter, au bord des lèvres, l’âme !

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