Peau de chagrin

J’ai des larmes plein des yeux, encore, et tu ne sais qu’en faire.

Mon reflet terne dans une tisane au millepertuis.

Par paresse ou par peur, j’ai laissé s’éteindre les étincelles de mon feu intérieur. J’ai laissé les flammes s’apaiser, les braises se refroidir, jusqu’à ce goût de cendres dans ma bouche.

Tu m’interroges, tu essaies de comprendre. Je ne peux pas t’aider. Je t’en veux. Ton odeur, ton regard, ton détachement me révoltent.

S’élèvent alors l’incompréhension et la colère. À quel foyer vais-je pouvoir me réchauffer ? Tu ne sais pas faire du feu. Tu n’as pas ce feu en toi. Tu ne sais pas éveiller ce feu en moi. Tu ne sais rien faire.

Je ne t’aime plus.

J’ai pleuré.

Disparition - Andrei Lazarev
Disparition – Andrei Lazarev

Tu vas faire des efforts, tu vas essayer de changer.

Je ne veux pas que tu changes, je veux que tu sois autre. Je veux te changer.

Je reste en martyr, l’intérieur douloureux, acide. Des années.

Rien de tout ce que tu feras ne me fera revenir à la vie.

Consumée, épuisée, je tente de te guider, en vain.

Un soir j’ai pleuré, encore.

Je ne t’aime plus.

Non, c’est faux.

Je ne m’aime plus.

Je me suis perdue.

J’ai oublié qui j’étais, je me suis laissée faire. Portée par la douceur, la chaleur, la tendresse, j’ai petit à petit sombré dans une passivité enfantine. Tu m’as laissée faire.

Je me suis noyée dans notre amour. Diluée.

Peut-on s’aimer encore, à dose homéopathique ?

Tu n’as pas cessé de m’aimer : tu n’as pas su à quoi te raccrocher. Je disparaissais de jour en jour, absente à moi-même. Peau de chagrin, chagrin dans la peau, qui suis-je ?

Vous ne voulez pas quitter votre partenaire, vous voulez quitter la personne que vous êtes devenue dans cette relation.

Esther Perel

Bras nus et doigts vivants - Andrei Lazarev
Bras nus et doigts vivants – Andrei Lazarev

C’est vrai. Je détestais cette vie (trop) simple qui devenait la nôtre. Je détestais voir la praticité de nos échanges, le manque de profondeur, de matière brute, dense. Je détestais l’immobilisme et exécrais la routine dans laquelle, sur laquelle nous nous reposions.

Mais je ne faisais rien pour changer. J’attendais que ça change. Que tu changes. Que tu prennes en charge notre changement. J’avais démissionné, retrouvé ma peau d’enfant dans ce lien rassurant que tu entretenais pour nous deux.

Souvent, tu agissais en adulte, et je me sentais abandonnée, méprisée, non reconnue.

J’avais peur que tu partes. Je disparaissais un peu plus. Je fondais pour ne surtout pas faire de vague.

Le précédent est parti. Nous nous sommes consumés.

Toi, tu es resté. Et moi j’ai grandi.

J’ai encore cette colère, dans le ventre. De m’être abandonnée moi-même. D’avoir ignoré l’appel de mon enfant intérieure, en quête d’attention, de ré-assurance. Je me déteste d’avoir à ce point délaissé ma voie, de n’avoir pas cultivé les graines merveilleuses récoltées sur ma route solitaire.

Un bouquet de fleurs fanées, un vieux cadeau que tu m’avais fait.

Assise sous l’aube, les paupières frémissantes, je me coule dans l’instant présent pour retrouver le sens du jour. Et cesser de te faire payer son égarement.

Nichée dans chaque cellule, palpitante, ma Nature essentielle m’attend. Toujours.

Sa sérénité, d’abord.

Ses multiples facettes, ensuite.

Ma flamboyance, mon indépendance, ma vivacité.

Mon esprit d’aventure, ma témérité, mon amour.

Mon amour…

La flamme bleue d’un foyer naissant, timide mais brûlante. Sur le point de tout dévaster. Ou de mourir.

L’incertitude, à jamais.

La seule prière qui me restera sera celle de ma propre union, avec l’espoir fou de rester Une jusqu’à la fin.


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  • Le chapitre « Le couple enfant-adulte dans le couple », La sainte folie du couple, Paule Salomon, Le Livre de Poche, 2019, p. 165.
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