« Ça s’appelle Tantra. »

Je ne me souviens plus à quel âge j’ai commencé à penser au sexe. C’était très tôt, j’avais pressenti un lien entre existence, vitalité et sexualité. Petite, j’avais un élan naturel vers la vie, un appétit énorme d’explorer, de sauter, courir, toucher, goûter, je ne tenais pas en place et j’avais besoin de stimulations régulières et variées.

Quand j’ai su que j’avais, moi aussi, un « trou pour faire les bébés« , ça a été une petite révolution dans ma tête d’enfant. Mon corps m’apparaissait déjà comme un superbe outil, idéal pour traverser le monde, prêt à l’aventure, mais il devenait en plus un mystérieux compagnon aux possibilités incroyables, un véhicule dont je découvrais le fonctionnement et les secrets, lorsque les yeux des adultes m’accordaient la pudeur…

Les jeux du sexe et du pouvoir

Observatrice minutieuse des jeux des adultes, de leurs manières de se tenir, de se parler, de changer de masque en fonction des situations, j’ai aussi rapidement compris les dynamiques de pouvoir entre les uns et les autres. En écho à ce que je voyais dans les films, j’ai intégré très tôt (je crois que j’avais entre 5 et 7 ans), que le plaisir de la femme était lié à une forme de contrainte. Les acteurs plaquaient les actrices contre les murs, et elles aimaient ça. Elles hésitaient, mais ils savaient mieux qu’elles quoi faire, quoi dire. Elles capitulaient, et en éprouvaient du plaisir. Elles commençaient par refuser, parfois. Mais ils étaient convaincants, et elles finissaient par changer d’avis. Ou pas. Mais la contrainte devenait le point de départ d’un rapport sensuel/sexuel classique.

Avec quelques amies proches, dans notre enfance, nous nous mettions en scène dans les coins discrets des maisons familiales : derrière un meuble, sous un lit, à l’abri des regards… Nous nous savions en train de transgresser quelque chose et explorer des directions inavouables. Notre scénario central : le viol.

(Je conseille fortement la série Culbute sur Arte, notamment l’épisode sur l‘érotisation du viol)

Nos poitrines plates d’enfants innocentes laissaient la place à des seins imaginaires, généreux et hautement érotiques. Nous mimions des baisers, des succions, des caresses non consenties. Nous jouions des kidnappings, des menottes trop serrées, des sévices dans le noir avec des armes blanches, blessant nos sexes pour mieux les pénétrer, en incarnant tantôt une femme victime (mais qui aime ça quand même, et qui en redemande) et un homme violeur. Et nous vivions nos premiers orgasmes ainsi. À califourchon sur l’enfance, en ancrant profondément en nous l’idée que qui est dessous subit mais peut aimer ça, qui est dessus manipule et abuse, en éprouvant un plaisir intense.

Le bon coup

Ce n’est que quelques années plus tard, quand l’adolescence est arrivée, que j’ai redécouvert le plaisir seule, en comprenant un peu mieux ce qui m’arrivait. Des premiers émois sensuels à la peur vertigineuse de ce désir qui gronde, qui grimpe, qui s’amplifie jusqu’à me submerger complètement, j’ai savouré longuement le début de ma vie sexuelle d’adulte.

Comme la plupart des adolescents, j’ai été terriblement impatiente de rencontrer celui (ou celle) qui pourrait vivre ces extases avec moi. En revanche, la question de la sexualité est devenu centrale au-delà de ce que j’imaginais. Au regard de ce que je comprenais de la société et du monde dans lequel je vivais, il fallait être sexuelle, il fallait avoir des amant(e)s, il fallait être libérée, décomplexée, performante, gourmande, généreuse, et tout un tas de qualificatifs qui couvrent les pages de Cosmopolitain dont mes copines raffolaient. Avant même d’avoir fait l’amour, une partie de mon identité dépendait de ce que mon corps serait capable de faire. Une partie de mon identité était définie par les pratiques que je proposerai à mes amants, du plaisir que j’éprouverai et du consentement que je donnerai forcément, car il fallait être un bon coup.

Par chance, mon corps a coopéré. J’éprouvais du plaisir facilement, et pendant ces premières années de découverte, jusqu’au début de la vingtaine, j’ai joué à merveille mon rôle de femme libérée, ouverte et jouissante. Jusqu’à ce que l’amour s’en mêle.

Cela ne peut pas être que « ça ».

Nous étions en couple, nos rapports sexuels étaient rapides mais efficaces, car nous jouissions ensemble systématiquement. J’étais dessus, en contrôle, et je nous menais vers l’extase. Puis je pleurais. Souvent, jusqu’aux sanglots qui me secouaient sur lui. J’éprouvais un plaisir immense en même temps qu’une absence sidérale. Une chute vertigineuse dans un vide abyssal. Et j’avais envie de disparaître, de mourir un peu.

Entre nous, ça n’allait pas très bien. Je crois que l’on s’aimait quand même, mais nous étions si différents. Si loin l’un de l’autre. Je pensais souvent à ce qui se jouait et comment y remédier. Mais je n’avais aucune clé, aucune carte pour nous guider. Nous tournions en rond, jusqu’à ce qu’on se quitte, moi dans une souffrance inédite, mêlée curieusement à un certain soulagement. Lui sans un mot, encore à ce jour, je ne sais pas ce qu’il est devenu.

Une nouvelle ère commençait, sur le sol de ma cuisine, dans une mer de larmes, déchirée entre l’envie de me noyer dans la Seine et celle de brûler tout Paris. Partagée entre un désespoir qui continue de me hanter parfois, et l’euphorie insensée d’une renaissance.

Et puis quelque chose s’est passé. J’ai eu la sensation qu’être seule pourrait me permettre de rétablir une vérité ignorée par le monde. Que ce nouveau couple libre que je formais avec moi-même allait être une équipe de choc pour creuser la question de l’amour véritable, de la sexualité authentique, et que rien ne pourrait se mettre en travers de notre chemin. J’allais enfin éclaircir tous les mystères qui me passionnaient dans mon enfance. Car, j’en étais convaincue, la sexualité ne pouvait se résumer à « ça ».

J’ai ce que tu cherches.

2014. Je fais du yoga 2 à 3 fois par semaine. Je médite tous les jours. Il faut que je survive et que j’élabore un plan d’action. J’ai envie de revoir tous mes amoureux du passé, de me prouver que j’ai existé avant et que j’existerai après. Alors je les appelle, et j’en revois un régulièrement.

Beau, beau, beau, il m’impressionne, me dérange, me déstabilise. Il me confronte et me questionne. Il est libre, et ne peut pas s’engager. Il me fait l’amour autrement, encore un peu maladroit mais plein de bonne volonté. Il part sur un coup de tête en Asie et me revient quelques mois plus tard. On parle d’amour, de sexualité. Je lui dis que ça ne me va pas, comme les gens font l’amour. Qu’il y a quelque chose qui manque, un truc de travers. Que je ne sais pas comment le dire, je n’ai ni les mots, ni les concepts pour y réfléchir.

Il me dit « j’ai trouvé ce que tu cherches. » Et me donne un nouveau mot qui va changer ma vie : « ça s’appelle Tantra. » Dans la même soirée, il me parle de l’Asie, de méditation, de yoni massage, de yoga, d’orgasmes de 30 minutes et de Dieu. Et tout me touche comme si toute ma vie avait été orchestrée pour que j’arrive à cet endroit, à ce moment. Je me sens aspirée par le présent, profondément ancrée, élevée, claire, juste. Mon cœur bat très fort, très vite. J’ai trouvé. Je pars.

Je me suis quittée.

Il y a eu ce basculement à mon arrivée en Asie. Un pied dans un nouveau monde, où je n’étais plus obligée d’être qui j’avais toujours été. De reproduire les schémas grâce auxquels on me reconnaissait, ou de choisir les rôles que mes amis étaient habitués à me voir jouer. Certains n’ont pas apprécié cette transformation et aujourd’hui encore, je sais que toutes mes aventures ne peuvent pas être partagées avec eux. Une part de moi est restée en France, et je me suis quittée en douceur. La liberté m’a cueillie, et j’ai pu me donner carte blanche quant aux directions que mon voyage allait prendre.

La teneur de ces années à l’étranger mériterait un développement bien plus long et détaillé, mais les révélations centrales ont eu lieu à deux moments particuliers. La première fois, c’est quand j’ai vraiment fait l’amour avec une femme. La deuxième fois, c’est quand j’ai vraiment fait l’amour avec un homme.

Quelle énorme claque que de comprendre que mon intuition de la rencontre amoureuse/sensuelle/sexuelle était juste depuis le départ, mais que les couches de programmes et de conditionnement à ce sujet étaient venues tout pervertir. Quelle joie de réaliser que tout était là, et qu’il suffisait de retrouver le chemin vers ce que je savais déjà ! Enfin, on me donnait des mots, des concepts, des opportunités, on me proposait des expériences, des soirées, des amours dont la saveur était précisément tout ce dont mon âme avait soif pour retrouver sa vitalité.

Qu’est-ce que le Tantra ?

Il est si difficile de résumer le Tantra en une phrase ! On pourrait dire qu’il est un ensemble de pratiques psycho-corporelles d’une partie de l’Inde médiévale, la dimension ésotérique de plusieurs religions hindouistes, le texte initial duquel les enseignements sont tirés, ou une voie spirituelle intégrant tous les aspects de la manifestation. Le Tantra classique a fortement influencé le yoga que nous connaissons aujourd’hui, c’est une étape par laquelle sont passés les enseignements des premiers yogis. Il s’est transformé en un Tantra dit Néo seulement à la fin du 20ème siècle et arrive aujourd’hui à point nommé, où 2ème libération sexuelle, droits des femmes, quête existentielle et quête spirituelle finissent par converger.

Le Tantra propose un chemin direct et rapide vers deux formes d’accomplissement :

  • Bukhti ou siddhi ou bogha : l’accomplissement de l’être sur le plan horizontal, dans la manifestation, dans le monde. Être ici, incarné, et vivre une vie d’humain tout à fait épanoui sur tous les plans qui ont de la valeur pour nous (matériel, économique, amoureux, charnel…).
  • Mukhti ou moksha : l’accomplissement de l’être sur le plan vertical, sa réalisation spirituelle et sa libération des cycles de réincarnation (ou de souffrances, ou de croyances).

Le tantrika voit ses actions et ses pensées soumises à ce double objectif en permanence. L’un ne prend pas le pas sur l’autre. Le sacré a une place fondamentale dans la pratique, tout comme l’irrévérencieux, ce qui permet de ne pas tomber dans le piège des illusions…

Rapport entre Tantra et sexualité

Il m’a semblé si juste que ces deux thèmes du Divin et du sexe (du vertical et de l’horizontal) soient liés, que je n’ai pas tout de suite creusé du côté des spiritualités ascétiques qui préfèrent éloigner toute forme de tentation ou tout objet de désir pour ne pas risquer de déconcentrer l’esprit. Si ces voies m’ont aussi aidée à comprendre qui je suis (ou plutôt ce que je ne suis pas !), le Tantra m’apparaît comme un déploiement inévitable de tout ce qui anime notre société.

En effet, cette « spiritualité incarnée » me paraît être le remède dont la plupart d’entre nous avons besoin : tiraillés entre les pulsions du corps et un esprit endoctriné, entre un mental fragile qui peine à comprendre les messages de la chair, entre une tête conditionnée qui ne peut plus suivre les signaux d’un corps malade. Il est temps de remettre de l’ordre et de l’harmonie dans ce qui fait de nous des individus libres, et vivants.

Sans rentrer dans le détail des multiples branches tantriques, disons qu’un des éléments fondamentaux des Tantras est précisément le fait de considérer l’entièreté de la manifestation. Sans en exclure aucun aspect. Ni les choses les plus concrètes, triviales, matérielles, ni les concepts les plus raffinés, esthétiques ou mystiques. Tout est un prétexte à la réalisation de ce double objectif, en y amenant toute notre attention, notre conscience, dans une recherche de la vérité.

Cela implique donc la sexualité. Comme n’importe quelle autre activité de notre vie, le sexe est quelque chose à considérer, à soigner, et à pratiquer en conscience.

Si la sexualité n’est absolument pas centrale dans la tradition initiale, pourquoi, alors, les derniers rebondissements du Tantra semblent se concentrer sur le sujet ? Je crois d’abord que le thème a toujours intéressé et attiré les foules ! Mais pas seulement. C’est certainement aussi ce dont nous avons besoin aujourd’hui. Qu’il y a un gros travail à faire sur la sexualité à un niveau planétaire, et qu’il est largement temps de considérer cette thématique… Enfin, même si le Néo-Tantra traite beaucoup de la sexualité, il utilise d’abord un ensemble d’outils similaires à ceux de la tradition initiale : respiration, méditation, postures, mouvement, visualisation… Dans les buts d’être bien dans sa vie, bien dans son corps, bien dans sa tête, sur tous les plans, horizontal et vertical !

Imagine…

Depuis plusieurs années, j’écris sur la sexualité et j’explore ce qui m’est apparu très tôt comme un théâtre brut de nos forces et faiblesses. Le lit (ou ailleurs !) comme laboratoire d’analyses émotionnelles, énergétiques et mentales, m’a servi aussi de tremplin spirituel. J’y ai vécu mes plus belles méditations, confronté mes plus grandes peurs et purgé mes plus grandes peines. Et le lien entre sexualité et vitalité n’est devenu que plus fort avec la conscience que j’y mettais : tout ce que je réglais dans ma sexualité avait des conséquences remarquables sur ma vie.

Imaginez… vous connecter profondément à vos besoins. Comprendre ce que vous ressentez. Vous donner le temps de vous écouter, de sonder vos envies. Avoir le courage de vous dévoiler entièrement. Être vrai.e. Et enfin, rencontrer l’autre qui aurait fait le même chemin, depuis cette place de vulnérabilité confiante, de sincérité, d’authenticité, de liberté.

Quel terreau merveilleux pour le plaisir, pour le désir, pour l’amour !

Quel espace sacré de guérison, de bonheur, de partage !

Quel moyen d’extase, de réalisation, de libération !

Concrètement, on fait quoi ?

Déconstruire patiemment, doucement, ou secouer avec détermination et fermeté toutes ces choses qui nous empêchent d’être libre, d’être nous. Ces croyances bâties sur des peurs, ces principes élaborés d’après des traditions, des cultures et des sociétés, ces programmes installés par nos familles, nos lignées et notre éducation. Se dévêtir simplement, lâcher ce qui nous alourdit, défaire ce qui nous restreint, redéfinir nos limites.

Concrètement ? On est là. On respire. On bouge. On se regarde. On joue. On se questionne. On ferme les yeux et on se laisse rêver. On les ouvre et on pleure. On rit. On se rencontre sous diverses perspectives et on ouvre la porte à ce qui veut entrer. Moins de contraction, de résistance, de fermeture. Plus d’expansion, de paix et d’extase.

Concrètement ? On prend le temps de se sentir, de se toucher. De s’approcher avec le plus grand respect, avec la plus grande considération. Soi et l’autre. On se souvient de ce que l’on est, profondément, au cœur de nos entrailles : des battements, une pulsation vivante et vulnérable, vibrante. Un éclat divin, un être sacré, un échantillon de l’univers.

Concrètement ? On ralentit, vraiment. On se goûte avec curiosité, sans attente, sans pression. On se célèbre avec lenteur et volupté. On s’écoute du regard, des lèvres, de la peau. On se rappelle qu’on est ensemble à chaque instant. On crée, seconde après seconde, une chorégraphie inédite, une symphonie unique, qui ne sera jamais rejouée.

Concrètement ? On s’aime au-delà du corps, au-delà de l’esprit. On s’aime dans toutes les directions. Avec suffisamment d’espace pour respirer, et suffisamment de connexion pour fusionner. On s’aime de telle sorte que chacun de nous se sent libre. On s’aime hors du temps, sans promesses et pourtant, comme si cet instant jamais ne cesserait d’exister.

Le Tantra en pratique

En pratique, le Néo-Tantra suggère une approche multiple mêlant pratiques corporelles (yoga, mouvement, respiration), parole et introspection (méditations, réflexion, écriture…). Il existe autant de Néo-Tantras que d’animateur / facilitateurs car chacun ne peut guider correctement qu’à partir de sa propre sensibilité et de son cheminement personnel. Les structures proposées se ressemblent souvent, avec des temps de connexion variés (regard, mouvement, respiration, massage), mais aussi des expériences venant questionner les limites de chacun (rapport à la nudité, confessions, danse, partages).

Le cadre est toujours soigneusement posé pour permettre à tous de se sentir en sécurité. Bien sûr, si vous êtes encouragé à explorer ce que les exercices provoquent et déclenchent en vous, rien n’est obligatoire. Pour des stages, des ateliers ou des soirées engageants, il est important que l’animateur/animatrice s’entretienne avec vous pour évaluer votre situation et si elle vous permet de participer.

Dans la vie, le Tantra n’est pas une pratique ou un moment particulier. Il permet d’envisager les relations intra et interpersonnelles sous un nouveau jour et de trouver une forme d’harmonie au quotidien. Beaucoup d’entre nous aspirent à cela, sans apposer l’étiquette du Tantra, et c’est parfaitement juste. Le Tantra ne se revendique pas seul et unique moyen d’arriver à l’Éveil : il suggère un chemin et des outils pour y parvenir.

On y va ?

J’étais fébrile sur ce zafu bien trop ferme. Nous avions rendez-vous pour un yoni massage au cœur de la jungle, et je savais déjà que ce qui se passait était bien plus grand que moi. Pourquoi aura-t-il fallu des années d’errance et de souffrance pour trouver une bulle de lucidité et de bon sens où me déposer ?

Il a plongé son regard dans le mien et avec toute la patience du monde, a ouvert les portes de mon âme.

« Tu es libre, et tu es en sécurité. »

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