Oiseau disco

« Écris ! »

On ne se connaît pas, elle a juste passé ses mains le long de mes « chakras ». À l’époque je n’y connais presque rien en yoga, je fais de la méditation depuis quelques semaines pour survivre à un chagrin d’amour et je cherche de quoi remonter la pente rapidement.

J’avais écumé les meet-up variés pour rencontrer des gens comme moi, un peu perdus, qui ont envie d’essayer de nouvelles choses, et j’avais fini par essayer plusieurs trucs qui me semblaient assez barrés mais m’aidaient à me changer les idées.

En parallèle, je développais mon activité d’édition et de rédaction web et passais mon temps dans des café-coworking de Paris (toujours en me plaignant des tarifs exorbitants de ces lieux branchés) (mais en même temps, j’étais bien contente du latte-art sur mon cappuccino).

Reiki sur place

Ce soir-là, je finissais ma journée à République, dans un lieu dont je ne me souviens plus du nom. Des flyers traînaient sur la table et je comprends qu’un « maître Reiki » doit venir faire une présentation dans les minutes qui arrivent. Je n’ai rien de prévu, sinon une soirée en tête à tête avec mon 24 m2 chéri dans le 17ème arrondissement. J’hésite un peu, mon voisin me dit que c’est gratuit. Alors je décide de rester.

J’écoute pendant un bon quart d’heure ce qui me semble totalement fou : des gens prétendent sentir des choses juste en passant leurs mains au-dessus de ton corps, et avoir des messages ou des images à te transmettre car ils canaliseraient des informations venant de plus haut. Je suis sceptique.

J’ai passé chaque weekend de ma terminale à travailler les mathématiques pour obtenir mon bac S, en intégrant (vraiment, très dur, très loin) que rien n’avait de l’importance sinon les données franches, les chiffres. Les résultats clairs.

On demande des cobayes, je lève la main. Des résultats clairs, on a dit.

Sortir la tête

Vous savez cette sensation d’ouvrir la vitre d’une voiture en route, et d’y passer la tête, les cheveux défaits ? De pouvoir à peine ouvrir les yeux à cause du vent ? De sentir sa peau qui se lisse, qui baille, qui claque, et d’entendre la vitesse ?

Voilà, ce soir-là, j’ai sorti la tête par la fenêtre. Ça faisait longtemps.

« Attention, ne sors pas ton bras ou ta tête, si on croise un autre véhicule cela peut être très dangereux. »

Assise, les yeux fermés, tranquillement sur le siège passager. Je me suis écoutée penser en boucle alors que la stagiaire Reiki se préparait face à moi. J’ai envie d’ouvrir la fenêtre. Bien sûr qu’il faut faire attention. Mais je sais à quoi ressemble une autre voiture. Je peux mesurer le risque. Et si dehors l’air était plus frais ? J’ai mal au cœur ici. Et pourtant c’est si familier, si rassurant. Si sûr. En même temps, qu’est-ce que ça me coûte, si j’entrouvre juste un peu ?

« Écris ! »

Avant ce soir, on ne s’était jamais rencontrées et je ne l’ai plus jamais vue. Elle était brune, avait l’air un peu timide et empruntée. Je l’avais trouvée sympathique et authentique. La chaise était confortable, il faisait tiède. Et j’avais perçu le passage subtil de ses mains le long de mon corps.

À la fin du soin, elle m’avait dit un peu gênée : « heu peut-être que ça n’aura aucun sens pour toi, mais heu… bon… ben j’ai reçu juste un mot pour toi, ou un verbe plutôt, ça disait heu… écris. Enfin je sais pas, peut-être que ça ne veut rien dire hein, mais c’est ce que j’ai perçu. »

Je lui avais souri et répondu, sûrement la larme à l’œil : « peut-être ! »

Ébouriffée. J’ai quitté la soirée parmi les premiers, et, dans le froid qui me séparait du métro, je me suis sentie bizarre.

Évidemment.

Espèce à plume

J’étais sur le siège passager pendant tout ce temps mais j’ai passé et repassé ma tête par la fenêtre. En savourant le bonheur de sentir la vie défiler, vraiment vivante. J’ai beaucoup écrit sans rien partager à partir de cet hiver-Reiki, et en août 2017, j’ai publié un premier (long) article sorti de mon ventre. Plusieurs, depuis. En laissant aller et venir l’inspiration, en prenant pour matière première le cœur de mes questionnements, de mes directions.

J’étais sur le siège passager, en imaginant que ça serait bien, comme ça, de se laisser conduire. C’était pratique et confortable, avec la fenêtre ouverte. Mais j’étais toujours malade dans les virages.

Jusqu’aux dernières épingles de cette année. Sinueuses, serrées, repliées sur elles-mêmes, comme les petits rubans que l’on colle sur les cadeaux de Noël.

Je crois que cette fois, j’ai compris que j’allais devoir conduire moi-même.

Oiseau disco : animal ovipare appartenant à la classe des vertébrés tétrapodes, à sang chaud, au corps couvert de plumes, dont la tête est munie d’un bec corné dépourvu de dents, dont les membres postérieurs sont des pattes et les membres antérieurs des ailes, ce qui le rend le plus souvent apte au vol. CNRTL

Je suis une espèce à plume apte au vol.

Un commentaire Ajouter un commentaire

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s