Ce que tu as déjà changé.

De l’eau dans de l’eau, entre deux brasses tu m’interromps, un pied qui se glisse sous une côte et me voilà agrippée au bord du bassin. Poisson-baleine ou maman tortue, je reprends ma route avec précaution. Il est vrai qu’ici j’oublie que tu es là parfois. Je me sens si légère.

Depuis 9 mois, je t’offre mon corps comme cocon, chrysalide, nid, terrain de tes premières expérimentations. Un espace étroit à partager jour et nuit, que tu as su modeler à ta convenance, selon tes besoins bien précis : du liquide, des capillaires, un système inédit de « respiration » aquatique, pour faire pousser de minuscules organes, dont un petit cœur au tout début. Quel choc de t’entendre vivre au creux de moi ! Ces battements m’ont éclaboussée, je m’en rappelle encore.

« Houhyhouhyhouh »

Il y avait un doute. Un œuf clair, il paraît. C’est quand il y a la coquille mais qu’il manque l’escargot. Je ne me réjouissais pas encore. Dans ma vie, il y avait une tempête dont je sous-estimais l’ampleur, et je préférais ne pas trop me projeter. Alors on a fait silence et la sonde a glissé.

« Tenez, écoutez. »

« …houhyhouhyhouhyhouhyhouhyhouhyhouhyouh… »

« Il ne faut pas le faire trop longtemps sinon ça peut le stresser. »

Je suis sonnée. Je me rhabille. Je ne sais plus vraiment ce qui est maintenant la priorité dans ma vie. D’un coup, c’est comme si toutes les cartes étaient battues, puis redistribuées. Tu existes.

L’ivresse des profondeurs

Au début, donc, il y a eu cet éclat fabuleux dans mon quotidien tourmenté. Une information prometteuse, annonciatrice de changement, de renouveau, d’aventure, qui allait de pair avec le vertige de l’inconnu et des étapes infinies qui m’attendaient, qui nous attendaient alors.

Tes petits battements de cœur ont commencé à rythmer mes semaines, au fil des rendez-vous que je n’imaginais pas si nombreux, au fil des démarches qui m’engloutissaient toute entière. Déjà aux prises avec une santé mentale chaotique, dans un hiver glacial, je devais absorber une quantité incroyable d’informations, sur les délais pour chaque examen, les avertissements des uns, les recommandations des autres, une sémantique inconnue… Tout en menant de front la transition vers notre nouvelle vie, pleine d’incertitudes et d’inconfort. Cette dose insensée de nouveauté et d’impératifs m’a submergée, si bien que je n’ai pas vraiment trouvé l’aide que je cherchais.

Et comment pouvais-je me payer le luxe d’une dépression alors que tu poussais dans mon ventre ?

Ton équipe

Heureusement, même si j’ai eu peur de me noyer plusieurs fois dans ce tourbillon, j’essayais de me souvenir de celle que j’étais, avant, et ton père tenait la barre. Nous étions un peu décalés, moi dans mes hormones et mon parcours de maternité, lui dans sa vie qui n’avait pas encore été bousculée. Pourtant, il était là quand il fallait, un peu désemparé par cet orage que je semblais seule à subir.

Il a fallu inventer un nouveau monde dont tu devenais un élément central. Au fur et à mesure que mon ventre s’est arrondi, que ta présence est devenue plus palpable, l’hiver a laissé place au printemps. Et, ensemble, nous sommes devenus tes parents.

Maladroits et inquiets, mais aussi impatients, émus et exaltés, de savoir que notre rencontre approchait. Un duo comique, léger et dramatique. Sensible, bouleversé, certainement loin d’imaginer à ce jour la drôle d’équipe que nous allons former.

Merci

9 mois au chaud, à flotter dans ton monde, et tu m’as déjà confrontée à tant de choses dans le mien, ouvert tant d’espaces dont je n’avais pas idée !

La façon spectaculaire avec laquelle le monde se sent concerné par la grossesse d’une femme, donne des conseils sans que l’on ait rien demandé… Proches et moins proches, parents ou pas, même si tout ça part d’une bonne intention, cessez ce flux d’avis et d’informations déjà largement saturé. Et moi-même, je suis confuse si j’ai, par le passé, été maladroite, invasive ou ai eu un mot inapproprié.

Les enjeux majeurs autour de la naissance, des premiers moments de vie, et la considération à apporter au personnel soignant qui se démène dans des conditions de travail de plus en plus précaires.

La répartition de la charge mentale liée aux enfants et l’importance d’impliquer le partenaire au plus tôt afin que chacun sache prendre les rendez-vous médicaux importants, choisir le médecin traitant, anticiper les vêtements à la bonne taille, le matériel de puériculture essentiel, le réassort de couches/de lait/de produits d’hygiène et de soin…

L’impact d’une grossesse sur la libido, sur la place de la sexualité dans la vie en général, l’espace et la réflexion accordée au couple en cette période si particulière.

Le poids des pressions féministes ou écologistes quant à la décision de devenir mère.

L’importance fondamentale du post-partum pour la santé gynécologique de la femme et la construction de cette nouvelle cellule familiale. Le gouffre entre les injonctions d’une société productiviste et des besoins physiologiques. Là encore, je dois reconnaître que par manque d’informations, j’ai sûrement été maladroite par le passé.

T’arrives quand ?

Je roule plus que je ne marche, chaque pas me donne l’impression que mon bassin va se démonter, j’ai mal à la symphyse pubienne, à l’articulation sacro-iliaque, je ne dors que sur le côté gauche et j’ai une contraction dès que je bouge. Je ne peux plus aller randonner jusqu’au chêne, et seule la natation et le yoga prénatal me permettent de bouger un peu. Je ne vois plus mes pieds, ni mes jambes, ni mon sexe, et parfois je heurte quelqu’un ou quelque chose avec mon ventre. Mais la nature est bien faite, et tous ces petits désagréments me rendent seulement plus impatiente de te rencontrer.

T’arrives quand, mon bébé ?

Bibliographie (ceux que j’ai aimé ou trouvés pertinents. Car il y a en a un paquet d’autres qui, bon, voilà.)

  • Bien-être et maternité, Bernadette De Gasquet
  • J’accueille mon bébé, Sonia Krief
  • Se préparer à la naissance en pleine conscience, Nancy Bardacke
  • Féminité maternité : Comment les femmes sont manipulées, Bernadette De Gasquet
  • Pour une naissance sans violence, Frédérick Leboyer
  • Si l’enfantement m’était conté, Frédérick Leboyer
  • J’accouche bientôt : que faire de la douleur ?, Maïtie Trélaün
  • Le périnée féminin et l’accouchement, Blandine Calais-Germain
  • La naissance en BD : découvrez vos supers-pouvoirs, Lucile Gomez
  • Mon corps après bébé, tout (ou presque) se joue avant 6 semaines, Bernadette De Gasquet
  • Le mois d’Or, Céline Chadelat et Marie Mahé-Poulin
  • Le manuel très illustré d’allaitement, Caroline Guillot

© Image : Alice Heit, bébé et placenta

2 commentaires Ajouter un commentaire

  1. cindyogiyeyogia dit :

    Magnifique texte, tes mots résonnent au plus profond de moi car mes bébés sont arrivés … il y a 12 ans et il y a 15 mois … grâce à elles je deviens chaque jour une meilleure version de moi-même, enfin j’essaie.
    Je t’envoie pleins d’ondes positives pour l’avenir, à vous deux et à vous trois .

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  2. Bernard dit :

    Tout simplement magnifique. Savoir prendre le temps d’écrire le présent et de le faire partager. Merci. Bises à tous trois.

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