Personne ne viendra.

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Eh, bonjour toi.

Je me doutais que tu traînerais par ici. Depuis le temps, je commence à te connaître. Je ne peux pas dire que ta visite me fait plaisir, mais au moins, je me suis un peu préparée à ta venue. Cette fois, je tiens à peu près debout, mais ne reste pas trop longtemps s’il te plaît. J’ai des choses à faire. En plus je n’ai rien à t’offrir cette année. Je t’ai tout donné l’an dernier. Mon temps, mon énergie, ma santé mentale. J’ai eu peur, tu sais ? C’est toujours très inconfortable, mais cette fois je n’étais pas seule. Aujourd’hui, quand je te regarde, je me dis qu’il y a quelque chose de vertigineux dans notre relation. On a passé un sacré temps ensemble, et j’ai toujours essayé de me débarrasser de toi, au fond. Tu as toujours été une sorte d’amie envahissante, bavarde et complètement à côté de la plaque. Mais aujourd’hui, je te vois un peu autrement… Je comprends dans mon corps un truc qu’on s’était dit il y a quelques années.

Personne ne viendra.

Personne ne viendra me chercher. Personne ne sera là à me prendre par la main pour me dire comment m’aimer. Il n’y aura plus les voix douces et réconfortantes des parents imaginaires de mon enfance. Je resterai seule dans les bois, voir si le loup n’y est pas. Personne ne saura que j’y suis, et personne ne viendra.

J’ai dû rater la leçon, sauter le jour où c’était le programme. « Titre en rouge, souligné, sautez une ligne. » S’aimer, premier Tome. Prendre soin de soi, nouveau chapitre.

Personne n’allumera la lumière ni ne me donnera de plan pour trouver la sortie. Il n’y aura personne pour m’attendre au bout, et je devrai cheminer seule. Pourquoi ?

Sûrement parce que dès le début, dès l’idée de soi, il y a une séparation, inévitable. Il y a la division, exponentielle, infinie. Dès l’origine, il y a cette distinction entre ce qui est soi et ce qui ne l’est pas. Et dès que, physiquement, les corps se scindent, alors, on nomme, et avec soi naît l’absence.

Paradoxal, non ? Comme l’union mène à la séparation, et inversement. Logique et paradoxal, comme le vide terrifiant est un plein serein, sous une autre perspective… 

Personne ne viendra, parce que je suis là. Parce que c’est moi la Terre et c’est moi le Ciel. C’est moi l’amie et l’ennemie, c’est moi la mère et moi l’enfant. C’est moi partout, dans le vide, dans l’espace et le temps. Personne ne peut venir si je ne viens pas, moi-même. Et si j’attends que quelqu’un vienne, c’est parce que je ne suis pas très sûre de tout cela.

Le droit au doute

Tu ne m’avais pas dit ça, l’an dernier. Que j’avais droit au doute. Enfin… C’était compliqué de douter avec cet humain dedans, qui poussait fort pour vivre. Aujourd’hui, je me vois douter et me souvenir à la fois. Je m’entends écrire, sans cesse, les mille scénarios possibles, sûre de mes mots, incapable de les choisir. Certaine de ma voie, perdue dans l’avenir. Tu ne m’avais pas dit qu’on ne savait pas faire, au début. Et que tout s’apprend. Qu’on peut manger avec les doigts, puis avec une fourchette, qu’on peut se laisser mourir et apprendre à marcher.

Je te connais bien, je sais que tu vas rester dans un coin. Il y aura des semaines qui disparaîtront de mon calendrier, des jours et des nuits sans saveur et de l’eau salée dans mes oreilles. Je continuerai de douter, mais tant qu’il y aura les mots, le vide et les saisons, je me souviendrai chaque année un peu plus fort, jusqu’à en être persuadée.

J’arrive.

Tu peux rester là, je m’en fiche, désormais. Je veux apprendre à danser sous la pluie. Et puis je veux danser avec toi. Je veux qu’on se croise mais que je te remette à ta place, que je guide et que tu te laisses faire. J’arrive, pour aimer, pour prendre soin, pour élever. J’arrive comme une débutante, toute nue, naïve et fébrile, prête à essayer, prête à se tromper.

Ce n’est qu’un pas de plus, mais un pas quand même. Je viens vers moi, et cet hiver je serai là. Je pourrai m’écouter et m’entendre, pour mieux me dire auprès des autres. Souvent, je réalise encore comme j’ai voulu qu’on me voit, qu’on m’entende. Pas qu’on me réconforte, non, mais qu’on m’anime, qu’on m’oriente, qu’une sagesse proche, mais extérieure, me reconnaisse pour qu’enfin j’existe.

Un petit pas, avec ce petit-là. Ce petit impatient, dont l’urgence de vivre me broie le cœur, me chamboule et m’alerte. Qui est là, si je n’y suis pas ? Tu peux fermer derrière toi en sortant, merci pour la visite, merci pour la leçon. Désormais, il me faut de la place, j’ai pas mal d’affaires, beaucoup d’histoires à raconter, et encore plus d’hivers à rattraper. Quelque part, je t’ai utilisée un peu, aussi. J’ai cru qu’avec toi, on m’accorderait plus d’attention. On aurait un peu de compassion peut-être, je prendrais moins de risques et on m’aimerait sans doute mieux. Mais tu m’as ralentie, et je vois désormais comme le temps passe vite.

Je n’ai plus envie d’attendre, j’arrive. 

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