Pour ce vertige qui succède au faîte du plaisir.
Pour ce vide infini qui s’ouvre, dedans.
Cet effondrement vers l’intérieur.
Cette tristesse qui teinte l’âme.
Ce désespoir, presque.
La petite mort
C’est ce moment brutal où tout s’arrête, où tout termine et semble n’avoir jamais existé.
C’est le moment où après avoir eu l’illusion de communier, de réunir, de réparer, l’absurdité de nos gestes, de nos amours, nous apparaît crûment à la lumière du jour. Les rêves que nous vivions quelques instants plus tôt s’oublient ou s’ignorent, devenant des élans naïfs et dépassés.
Quand le feu du ventre s’éteint en une fraction de secondes, que l’univers en formation meurt, éclate, succombe… Quand dans des bras d’ami-amant, d’amour, nous n’avons plus envie de rien d’autre que de disparaître pour toujours, c’est là, où l’on peut comprendre l’autre sens de la petite mort.
Il nous semble étouffer, nous noyer, plus rien n’a de saveur, plus rien n’a d’intérêt.
Éros et Thanatos, dans la même pièce.

Le faîte du plaisir
Nous deux, naufragés, deux âmes en perdition, sur le bord de la vie, nous berçions d’illusions.
Quelle cruelle révélation. Ce faîte du plaisir, cet apogée du jouir, n’est-ce vraiment qu’un plan primitif pour nous appâter ? Nous donner envie de nous reproduire ?
Depuis le début, déjà, j’ai vu cet artifice grossier, dont les formes et les saveurs prennent un aspect trompeur… Nous ne rencontrons pas l’autre, nous nous rencontrons nous-même. Et tant que ce chapitre n’a pas été traité, nous resterons de tristes androgynes incomplets.
Ah, ébats délicieux qui nous mènent vers ce verger où le fruit défendu nous nargue, nous pend au nez ! Comme des aventuriers, haletants et frénétiques, il me semble que nous cavalons sur ces vagues extatiques ! Et c’est une bataille pour savoir de quel côté, sous quel angle, le plaisir est décuplé, enivrant, attisé.
Malheureusement, d’une union salvatrice, rétablissant l’ordre primordial en apparence, seuls nos fluides subsistent, en guise de récompense.
Quelle triste réalité.
C’est là qu’elle entre en scène, son numéro bien au point, pour nous rappeler notre place d’humain : la petite mort.
Mais tu as joui, pourtant.
Longtemps, plus jeune, j’ai vécu ces moments à part, sans comprendre ce qu’il se passait. Après des étreintes plus ou moins joyeuses, relativement conscientes, après des orgasmes tout à fait satisfaisants, je sombrais dans un genre de déprime vertigineuse.
Après l’amour, qui aurait dû me faire me sentir vivante, je me sentais vide, parfois je pleurais, je m’éteignais.
« Mais tu as joui pourtant ! » on me disait, incrédule.
Quels ignorants, et quelle violence ! Si le plaisir était tout, ça se saurait. Les plus heureux ne sont pas ceux qui en abusent. Et ce culte du cul, comme moyen d’exister, « prendre du plaisir », c’est bien ça qui tue l’Amour, qui éteint le désir !
Des fesses à portée de clic, un doigt ravageur, on prend à l’autre ce qui ne vient pas de Soi. On prend le plaisir où il est, on l’extrait, on le chasse. On cherche dans l’autre cette partie qui nous manque, ce Nous-même qui ne peut être heureux qu’au moment du coït, qu’au moment du jouir, quand il paraît, l’espace d’une seconde, que notre existence a du sens.

La chair comme tapis de prière
Si tu as déjà, toi aussi, éprouvé ce vide sidéral qui succède à l’amour, si tu as toi aussi senti dans ton cœur, dans ton sexe, dans ton âme, qu’il y avait autre chose derrière l’illusion du plaisir, c’est vrai. Tu n’es pas seul.
Cet espace entre deux espaces, ce temps suspendu qui voit nos masques fondre et geler à la fois, c’est le bout du chemin où nous basculons d’un côté ou de l’autre.
Au faîte du plaisir, il y a deux versants.
- Le bonheur infini d’une reconnexion universelle. L’extase de l’Union. La réalisation de notre complétude intrinsèque.
- La fin des illusions et la douleur du réel. Le vide, l’absence, le néant.
Et les deux sont la même chose, sous deux angles différents.
L’énergie sexuelle est celle qui crée, mais aussi celle qui détruit. Celle qui tue, qui endort à jamais. Celle qui nuit. Quand ensemble, nous lions nos vies à travers la sexualité, nous jouons les apprentis sorciers. Nous buvons un sérum de vérité.
Le sexe est bien plus que du sexe. C’est un jeu et un procès. Une vengeance et un hommage. C’est un trésor et une damnation. Quand l’amour se tisse, que le sexe se fait, vous approchez au plus près votre véritable nature. Et s’il reste quelque part, des bouts de vous qui se cachent, qui saignent, le corps les révèle, dans son langage unique : des larmes, des rires, une moue écœurée, le sexe dévoile vos démons orgasmiques.
Si le désespoir va de pair avec votre plaisir, c’est peut-être que le contenu de vos amours est loin de vous nourrir. Vous avez peut-être envie de vous retrouver, de vous reconnaitre. De connecter à la fin du cycle, de Vie-Mort-Vie. Et après cette petite mort, renaître à vous-même.
La chair, c’est un tapis de prière.
Il vous appartient de décider quel Dieu vous vénérez.
